Il m’arrive fréquemment de repérer et d’acheter des noms de domaine dans le but de les revendre à un prix bien plus élevé. Cette pratique, appelée “domaining” dans le jargon, consiste à acquérir des noms de domaine à fort potentiel marketing ou SEO et à les revendre ensuite pour une belle plus-value.
Mais pour être honnête, ce n’est pas une activité très connue, ni particulièrement rentable, surtout en Afrique. Au Sénégal, par exemple, rares sont ceux prêts à débourser de grosses sommes pour un nom de domaine. Mais un jour, j’ai eu un client pas comme les autres : l’Etat du Sénégal, via l’une de ses agences…
Je vais vous raconter comment j’ai réussi à leur facturer 1 500 000 FCFA pour un nom de domaine acheté quelques mois plus tôt à seulement 17 700 FCFA, et comment tout cela s’est terminé (ou presque).
Tout a commencé en décembre 2021, lorsque l’Agence de l’Informatique de l’État (ADIE) a été dissoute et remplacée par une nouvelle structure : Sénégal Numérique SA, alias SENUM SA. Tous les médias en ont parlé, et très vite, l’acronyme “SENUM” est devenu populaire.
Le site web de l’ADIE, c’était adie .sn. Logiquement, je me suis dit que le site de SENUM serait probablement senum .sn. Par curiosité, je suis allé vérifier s’il était déjà en ligne. Je tape senum .sn dans mon navigateur… rien. Intrigué, je vais voir si le domaine est disponible.
Surprise ! Le domaine senum .sn était libre. Je n’ai pas hésité une seule seconde, je l’ai immédiatement enregistré, tout en laissant visibles mes coordonnées pour être facilement contacté. Mon but ? Attendre que l’agence me contacte et leur vendre le domaine.
Un mois passe. Puis deux. Puis trois. Rien. Pas un seul appel. Je commençais à me dire que peut-être, ils avaient choisi un autre nom de domaine, ou pire, qu’ils ne s’intéressaient même pas à senum .sn.
Puis, un après-midi, au bout du cinquième mois, mon téléphone sonne.
– Allô ! C’est toi, Arouna BA ?
– Oui, c’est bien moi…
– Arouna, tu es développeur, non ?
Dans ma tête, je pense : “Mais pourquoi tout le monde croit que seuls les développeurs achètent des noms de domaine ? Il y a plein d’acteurs du web qui s’y intéressent aussi…”
– Heu… non, je ne suis pas développeur, même si je sais créer des sites…
– C’est toi qui as enregistré le domaine senum .sn ?
– Oui, pourquoi ?
– Ok, est-ce que tu peux me push le domaine, stp ?
À ce moment-là, je me suis dit : “C’est quoi ce push encore ?” Mais je lui ai demandé pourquoi il en avait besoin.
– C’est pour un projet urgent…
Là, je n’ai pas pu m’empêcher de rire.
– Haha, j’en ai besoin aussi pour un projet. Pourquoi ton projet serait plus important que le mien ?
Après quelques échanges, je lui ai demandé de me laisser le temps de réfléchir et de le rappeler plus tard sur WhatsApp.
Ce qui est drôle, c’est que le gars n’avait même pas mentionné son identité. Mais, grâce à l’application Truecaller et quelques clics sur LinkedIn, j’ai découvert qu’il travaillait pour l’ADIE.
Quelques jours plus tard, un autre agent de l’ADIE m’appelle, cette fois en se présentant correctement. Il me demande, presque en suppliant, de leur vendre le domaine. Je lui ai dit que je réfléchirais. Après avoir raccroché, je savais que je tenais le jackpot.
J’ai discuté avec quelques amis qui connaissaient un peu la structure pour estimer un prix raisonnable. Finalement, j’ai décidé de facturer 1 500 000 FCFA. Quand l’agent m’a rappelé, je lui ai annoncé le prix, et il a accepté sans broncher.
Mais devinez quoi ? Après avoir envoyé la facture, plus aucune nouvelle… Silence radio. Jusqu’à aujourd’hui, je n’ai jamais eu de réponse. Je ne sais pas ce qui s’est passé en interne, mais ils ont probablement trouvé le procédé un peu maladroit. C’est aussi ça la difficulté du domaining.
Le marché des noms de domaine peut parfois atteindre des sommets vertigineux. Certains domaines se sont vendus à des prix incroyables.
Par exemple, le domaine ai .com a été racheté par OpenAI (la société derrière ChatGPT) pour la somme astronomique de 11 millions de dollars ! Un autre exemple est credit.fr, vendu pour plus de 500 000 dollars.
Ces transactions illustrent bien à quel point un bon nom de domaine peut avoir de la valeur. Cependant, attention à ne pas enregistrer de noms de domaine correspondant à des marques déposées. Cela pourrait vous causer de sérieux ennuis juridiques, avec un risque de poursuites pour violation de la propriété intellectuelle.
Pour ceux que cela intéresse, le domaining est une activité sérieuse, et même s’il n’est pas toujours facile de faire des ventes en Afrique, des événements internationaux comme le NamesCon à Las Vegas rassemblent des domaineurs du monde entier, où des ventes record sont souvent réalisées.
Pour terminer, voici trois stratégies pour monétiser un nom de domaine :
– Le parking : Vous mettez simplement une page avec des publicités sur le domaine. Par exemple, OusmaneSonko .net est actuellement en parking sur GoDaddy.
– La vente directe : Comme ce que j’ai tenté avec senum .sn.
– La redirection de trafic : Vous redirigez le domaine vers un autre site pour capter du trafic. C’est ce que j’ai fait avec senum .sn, qui renvoie actuellement vers une page du site Soleil .sn.